Le 11 juillet 2001
Chère Blanche
Il est bienfaisant de parcourir votre site et j’espère que vous pourrez aider beaucoup de femmes. Votre approche thérapeutique semble très complète et pertinente. Ma vie n’a pas été facile, mais j’ai entrepris une démarche pour guérir et je me sens de mieux en mieux. Je vous envoie mon témoignage, si cela peut être utile…
Avec toute mon affection,
A.B.
Soirée d’automne,
lune rieuse, étoiles malicieuses,
qu’elle est belle, la vie.
Je n’ai pas quatre ans,
tout est joie, tout est merveille.
Bien sûr, je ne devrais pas être là,
dehors, à cette heure tardive,
Maman ne permet pas…
Deux hommes inconnus, sévères, laids,
laids d’une laideur d’âme…
Une main moite et lourde sur mon visage
et mon petit corps qui se débat…
Bestialité immonde… Je m’évanouis.
Je ne me souviens de rien.
Je ne veux pas me souvenir.
C’est ma stratégie de survie.
Mais nier, cela aide seulement à survivre,
cela ne fait pas guérir,
et lorsque l’âme saigne, elle attire les requins.
Requin, mon frère aîné,
qui se jette sur moi pour s’exciter sexuellement,
qui me harcèle, m’humilie pendant de nombreuses années.
Mais comme il n’y a pas d’acte complet,
je ne sais pas nommer ce qui m’arrive.
Je n’ai pas de prise sur ce qui n’a pas de nom,
sur ce qui me dégoûte et me désintègre, et que je ne comprends pas.
Mon âme saigne,
et quand l’âme saigne, elle attire les requins.
Requin, mon mari,
jouissant de me terroriser, de m’abaisser, de m’humilier.
Je divorce, mais ce n’est pas assez. Je dois m’exiler
pour protéger la vie de mon enfant et la mienne.
L’exil est une sorte de mort.
Je me débats dans la noirceur de ma détresse, dans ma confusion, ma peur obsessionnelle des hommes, le dégoût de la vie, la révolte.
Puis un jour, à 35 ans, une lumière: j’assiste à une réunion pour parents, à l’école de mon fils, où l’on explique l’inceste, avec une définition large, où je reconnais pleinement mon vécu avec mon frère.
Être capable de désigner, de nommer la souffrance, cela me permet enfin de ne plus la laisser me contrôler, mais plutôt de prendre du pouvoir sur elle.
Les murs de ma prison mentale se brisent et j’ai le sentiment de partir à la découverte d’un monde inconnu et plein d’espérance.
Mais sortir de la prison ne guérit pas les blessures et quand l’âme saigne, elle attire les requins.
Je les sens encore rôder autour de moi. Je les repère plus facilement et tente de les repousser, mais je comprends que j’ai besoin d’aide.
À 37 ans, j’entreprends une thérapie.
Et maintenant que j’ai 40 ans, j’ose faire face au viol subit dans mon enfance. Je ne cherche plus à le nier, alors il ne me hante plus.
Je vais de l’avant, apprenant petit à petit à reprendre du pouvoir sur ma vie, à me réconcilier avec mon corps, à rebâtir une estime de moi-même, à me découvrir.
Je sens que mes plaies se referment. Elles ne saignent plus. Les requins s’éloignent.
Je veux dire aux hommes-requins que leur violence et leur bestialité sont intolérables et inacceptables, qu’elles méritent une condamnation. Mais je veux aussi leur dire que je ne les réduis pas à leur côté requin. Au-delà des eaux violentes de leur cœur, il y a une source pure. Je crois sincèrement que tout être humain possède au fond de lui une source pure.
Je veux dire aux hommes-requins qu’en même temps que je condamne leurs actes, j’entreprends aussi une démarche de pardon. Puisse mon pardon, comme une énergie divine, contribuer à assainir vos eaux troubles afin que votre source pure se révèle et jaillisse.
Je vous pardonne, vous, ces deux inconnus, qui ont tué une partie de mon âme quand je n’étais qu’une petite fille de 4 ans. Je te pardonne, toi, mon frère, qui a volé ma dignité, Je te pardonne, toi, mon ex-mari, pour toute ta violence et pour l’exil. Je vous pardonne et poursuis mon chemin, libre de vous.
A.B.