À travers les différentes approches scientifiques de la «nouvelle victimologie», une des plus intéressantes, le Syndrome de Stockholm, qui à partir d’un sentiment de sympathie ressenti par la victime face à son agresseur, la conduit jusqu’à adopter une attitude pouvant atteindre la soumission totale.
On peut retrouver le Syndrome de Stockholm dans différents délits allant à des attaques à main armée, aux prises d’otage(s), aux chantages en tous genres et aux violences contre les femmes. En regard de ces dernières, on rencontre des situations de violence contres les femmes dans lesquelles, même lorsque la femme souffre de maltraitance et subit l’oppression, elle nourrit paradoxalement un sentiment d’affection pour son bourreau et, souvent, compagnon. Elle préfère garder le silence, ne dénonçant que rarement l’agresseur, avec qui elle continue à vivre.
Ainsi, la femme se place dans un état de résistance passive, acceptant la situation et quelques fois, préservant son lien avec l’être aimé, en rejetant sur la société la cause de ses souffrances. ¹ Le même scénario peut se retrouver dans les crimes sexuels incluant l’INCESTE.
Que se passe-t-il au niveau psychologique?
On a observé de multiples réactions émotives susceptibles de se manifester chez une personne sans défense, complètement fragilisée et vulnérable, exposée pendant une importante période à la domination ou sous l’autorité d’un agresseur pouvant être un membre de la famille lorsqu’il s’agit de l’INCESTE, de MALTRAITANCE ou encore de VIOLENCE CONJUGALE OU AMOUREUSE. Il s’agit d’un comportement qui s’installe graduellement, provoquée par l’existence d’un courant affectif qui s’active de manière réflexe et naturelle que l’on pourrait définir comme une «profonde dépendance» envers son propre agresseur.
« Frozen fright » ou « Figitude »
Les conséquences des rapports prolongés entre la victime et l’agresseur peut nous permettre de comprendre une telle réaction. Martin Symonds ² désigne cette étape du drame de « frozen fright » (la peur gelée). L’on doit bien saisir que l’agresseur pousserait sa victime dans un genre de « congélateur »… Au début, la victime peut être envahie par une panique terrifiante, toutefois, elle arrive à cacher ses sentiments. Elle demeure calme, cherche à collaborer avec son bourreau ou son agresseur, en obéissant à ses ordres, en réduisant ou refoulant, progressivement, l’énorme choc par l’agression. Choc se traduisant en traumatisme qui selon moi, enferme la victime dans une « figitude » , qui gèle toute émotion et sensation en se coupant de son corps, un mécanisme d’autodéfense pour survivre à ces assauts et protéger son intégrité. Et par conséquent, face à la surprise (particulièrement si l’agresseur est un membre de la famille), étonnamment, au lieu de la résistance et de l’hostilité, la victime exprime à son agresseur un sentiment de sympathie et d’affection, pouvant aller même jusqu’à la gratitude et à la soumission.
La survie
La victime doit nécessairement se concentrer sur sa propre survie, exigeant ainsi l'évitement de réaction directe et honnête au traitement destructeur. Elle devient alors très attentive aux réactions de plaisir et de déplaisir des agresseurs. Elle est encouragée à développer des caractéristiques psychologiques qui plaisent au ravisseurs: dépendance, manque d'initiative, incapacité d'agir, de décider, de penser, etc. Elles développent activement des stratégies pour rester en vie, incluant le déni, l'attention aux désirs des agresseurs, un penchant pour les agresseurs accompagné de peur, peur de l'interférence des autorités, et l'adoption du point de vue de l'agresseur. Les otages sont forts reconnaissants envers les terroristes de leur avoir laissé la vie sauve. Ils se concentrent sur la bonté du ravisseur, et non sur ses actes de brutalité. Les femmes battues supposent que l'agresseur est un homme bon dont les actions découlent de problèmes qu'elles peuvent l'aider à résoudre. Elles croient fermement qu’en l’aimant d’un amour sans bornes, il pourra se défaire de ce problème de violence. Que la victime prise au piège soit un otage, une femme battue ou encore une victime d'inceste, toutes ressentent de la peur, comme de l'amour, de la compassion et de l'empathie envers un ravisseur qui leur a montré une sorte de bonté (en épargnant leur vie). Chaque acte de bonté par le ravisseur va aider à soulager la détresse émotionnelle qu'ils ont crée et ouvre la voie à la dépendance émotionnelle des réponses contre productives des victimes.
La terreur et le déni
Le déni de la terreur et du danger, et la perception de leurs agresseurs comme des gens tout-puissants aide les victimes à garder un attachement aux agresseurs. Un niveau d'anxiété élevé empêche les victimes de voir les options disponibles et demeure dans le silence. Se développe alors en réponse un stress psychophysique.
Durée du Syndrome de Stockholm
Les conséquences de ce syndrome peuvent perdurer longtemps particulièrement en ce qui concerne l’INCESTE. Tout dépend de la capacité de la personne à briser le silence, sortir de ce cycle infernal intergénérationnel, intégrer ces traumatismes en conscience et récupérer ainsi sa propre personnalité.
Syndrome de Stockholm et abus sexuels
Le Syndrome de Stockholm explique aussi pourquoi les enfants maltraités et les adultes de la maltraitance des enfants, en particulier les abus sexuels des enfants ³ :
- justifie l’agression ou de la percevoir sous un jour positif.
- éprouve de la honte et de l'ignominie (l'honneur de la famille ou un sentiment d'impuissance et de désespoir)
- sente et méprisera l'aide des autres ou toute tentative d'aide.
- les craintes de voir l'agresseur se venger et de punir leur «déloyauté».
- s’identifie à l’agresseur et le (ou la) voit comme «victime»
Les enfants sont dépendants de leurs parents et des soignants. Leur survie est finalement entre leurs mains. Par conséquent, la déloyauté envers l'agresseur augmente la probabilité de mettre leur survie en péril.
Le Syndrome de Stockholm à des degrés plus ou moins importants sont ce qu'il y a de plus difficile à traiter et même à détecter, et, il faut le reconnaître. Leur agresseur les a conduits à ce point extrême où il ne risque plus rien puisque c'est leur victime qui les défend et mieux qu'eux-mêmes ne le pourraient. Celui qui est censé les protéger du monde extérieur les détruit et ce sont des « étrangers » qui doivent les défendre.. d'un être aimé malgré tout.
Nous pouvons dire aussi, les enfants devenus adultes vivent donc une «dépendance affective», un «attachement pathologique» à leurs parents et aux autres membres de leur famille 4 . Si ceux-ci, ne vont pas consulter, ils peuvent même jusqu’à passer toute leur vie sous le joug de l’aveuglement de cette profonde dépendance et ne pouvoir ainsi jamais développer leur autonomie affective, le pouvoir sur leur vie, accéder à leurs propres potentialités , de même qu’à une saine sexualité.
En ce qui concerne l’INCESTE, souvent nous pouvons entendre ce genre de discours :
- « Quand même faut pas exagérer… il m’a quand même pas violé!»
- « Mais non mon père n’était pas incestueux.»
- « J’ai juste eu des attouchements… J’ai pas été abusé sexuellement…»
- « J’ai tourné la page… J’ai pardonné… C’est du passé…je ne veux plus en entendre parler…»
- « Je ne crois pas qu’il toucherait à un autre enfant…»
- « Il dit qu’il ne le refera plus…»
- Mes parents ont fait ce qu'ils ont pu... Eux aussi ont été traumatisés dans leur enfance. »
- Mon père est trop vieux pour le dénoncer... Je ne veux pas qu'il finisse ses jours en prison. »
Prendre note :
Les pères ne sont pas les seuls «abuseurs» . Le sont également des mères, des oncles, des beaux-pères, des amis intimes de la famille.
On oubli trop souvent l’inceste entre frère et sœur, qui fait beaucoup plus de ravage qu’on ne le croit.
L’inceste n’est pas nécessairement hétérosexuel : il peut être également homosexuel (mère-fille, père-fils)
L’inceste peut être vécu non seulement avec un parent, mais les deux parents, et parfois même, la famille au complet.
Il ne touche pas seulement les enfants «grands» , mais aussi le «petits» - les enfants moins de 5 ans- et parfois même les bébés.
Sortir du Syndrome de Stockholm
Pour sortir de ce syndrome, faire face à ses traumatismes. Cela demande de la part des victimes de la force, du courage, de la perspicacité, une lucidité et une endurance à toute épreuve. C’est la même énergie, les même qualités qui ont servies à la survie lors des agressions. Maintenant, ces aptitudes sont utilisée pour sortir de cette EMPRISE MALSAINE, GUÉRIR à la RACINE et RETROUVER la LIBERTÉ D’ÊTRE.
Nous savons que l’ INCESTE est un FLÉAU et que les dénonciations faites à ce jour n’est que la pointe de l’iceberg. Nous pouvons facilement supposer que nombres familles sont prises dans le Syndrome de Stockholm. Les personnes qui osent se lever debout, sortir de ce syndrome, briser le silence, dévoiler et/ou dénoncer leur(s) agresseur(s) incestueux, sont pour la plupart, pointées du doigt par leur propre entourage, leur propre famille, leur propre parenté. Un réseau très fermé, très surprotecteur, enfermé dans le DÉNI et la MINIMISATION des GESTES ABUSIFS et DESTRUCTEUR S. Tout un système qui se déploie instantanément! Pour celles et ceux qui malgré tout poursuivent ce cheminement… ils et elles ont tout notre admiration. Tout est en leur honneur! Malgré les deuils à affronter et à intégrer en cours de route, ces êtres ne regrettent rien… Leur nouvelle existence est parsemée de joie intense, la joie d’enfin se retrouver réellement en sa propre intégrité. Le fait d’accéder à une nouvelle vitalité, une assurance qui prend de plus en plus d’expansion, une créativité unique et des projets qui affluent naturellement, viennent leur confirmer que les décisions prises étaient les bonnes. Souvent j’entends en consultation : « Si ce serait à refaire… je referais le même chemin… » c 'est-à-dire, de dévoiler et/ou dénoncer leur agresseur ou encore d’oser suivre une thérapie en profondeur.
Note : Même si nous savons que l’INCESTE est une CATASTROPHE, nous pouvons constater que dans la société la plupart des gens font comme si ce n’était pas le cas. Le DÉNI et MINIMISATION prends le dessus au lieu de faire face à cette RÉALITÉ. Nous pouvons citer comme exemple, dans une famille quelconque, l’on peut parler… s’offusquer… des cas d’abus sexuels, d’inceste qui sortent de l’ombre que l’on apprend par les médias ou par une tierce personne. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une victime tout près de soi… de la famille… il en va tout autrement… Alors, la victime bien malgré elle, devient à leurs yeux, une menteuse qui a tout inventé… une malade mentale… celle qui brise la famille… etc. et par la force des choses est rejetée par les siens. Il faut alors toute une force intérieure et de l’aide extérieure appropriée et adéquate pour RESTER DEBOUT et TRAVERSER ces « AUTRES ÉPREUVES ».
« Ce n’est pas la victime qui sort de l’ombre qui brise la famille… Ce sont les ravages de l’inceste et la non-guérison des traumatismes qui y sont intimement reliés et par conséquent, se transmettent de génération à génération. » Blanche Landry
Références:
¹ EDMUNDO Oliveira « Nouvelle victimologie : le syndrome de Stockholm », Archives de politique criminelle 1/2005 (n° 27), p. 167-171.
² SYMONDS, Martin. (1980). The Second Injury: Evaluation and Change. New York, Criminal Justice Press, p. 36-38.
³ JULICH, S. (2005). Syndrome de Stockholm et les abus sexuels des enfants. Journal of Child Sexual Abuse, 14 (3), 107-129.
4. LANDRY, Blanche. (1999). Le secret de Blanche. Éditions de l’Homme. Montréal, p. 242-243.