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Témoignage de Marie-Hélène

 

Le courage de faire la lumière

Très tôt dans son enfance, jusque dans l’adolescence avancée, Marie-Hélène a été harcelée et souvent agressée sexuellement par la plupart de ses frères. (1) Elle s’est plainte à sa mère. Celle-ci n’est pas intervenue elle-même pour protéger sa fille. Elle s’est contentée d’en référer au père… qui n’a rien fait. Bien au contraire, ce dernier l’a lui aussi agressée….

Attirée par la vie religieuse dès la petite enfance, elle est devenue moniale. Peu avant de prononcer ses premiers vœux, à 20 ans, elle a fait part à son confesseur des traitements subis dans sa famille. Celui-ci n’a vu les choses que sous l’angle très étroit de la morale. Il a cru bon de la rassurer : elle n’avait pas péché… Il n’a pas semblé se soucier de l’effet dévastateur de ces agressions dans l’âme de cette jeune femme.

par Paul Longpré

Marie-Hélène a enfoui ces souvenirs néfastes et « honteux » au plus profond de sa mémoire morte : la zone de l’indicible . L’image du papa de sa petite enfance, lui qu’elle a aimé comme aime le cœur tout neuf d’une fillette, est à jamais défigurée. « J’ai vécu ces gestes comme une trahison affective, » confie-t-elle. Comme il arrive bien souvent, elle a été victime mais se sent coupable à l’intime. Plus aucune estime d’elle-même. Rongée au tréfonds par la honte. . Elle confie :

—Jeune religieuse, je faisais souvent cette prière : « Seigneur, comment tu fais pour m’aimer ? Je crois en ton amour. Avec ma tête. Fais-moi la grâce de le croire avec mon cœur ! »

Son choix de vie suppose la vérité de soi. En effet, seul le vrai « soi » peut vivre la présence à la Présence de Dieu. Elle s’est bornée à subir avec le plus de sérénité possible ce qu’elle décrit comme un « mal-être intérieur ». Liée par un vœu d’obéissance, elle a des problèmes avec l’autorité. Toute autorité. Surtout celle qui, à tort ou à raison, lui semble s’exercer abusivement. Invitée au pardon des offenses, elle se convainc d’avoir pardonné. Mais elle ne peut penser à ces événements sans qu’une bouffée d’acide remonte du plus profond de son cœur. En fait, elle est pétrie de ressentiment. Au point qu’elle a du mal à prier un Dieu qui est aussi Père . Elle prie plutôt Jésus et Marie…

À l’approche de la quarantaine, sœur Marie-Hélène n’arrive plus à boucher les trous de son âme. Ce qu’elle a farouchement tenté d’occulter bouillonne au tréfonds. Elle sent venir une crise majeure. L’événement déclencheur est plutôt surprenant chez quelqu’un qui suit un régime végétarien et vit le jeûne pendant une grande partie de l’année. Elle se rend compte qu’elle a développé une dépendance à la nourriture. Il lui est de plus en plus difficile d’observer la règle du jeûne. Même impossible.

Dotée d’une personnalité plutôt forte, elle se fustige pour ce qu’elle croit être un manque de volonté alors qu’il s’agit d’une totale impuissance. Cela l’enfonce encore plus profondément dans la mésestime d’elle-même et la honte. Elle se trouve piégée : cul-de-sac existentiel. Impossible de continuer à « sublimer » les symptômes de son mal de vivre. Sublimer : euphémisme moraliste qui revient bien souvent à refouler . (2) Elle entreprend donc, à 42 ans, la première de deux longues psychothérapies, en quête de lumière.

—Je connaissais la blessure du père, raconte-t-elle. C’est cela qui me dressait contre l’autorité. Après un an et demi, ma thérapeute m’a proposé de revoir ma relation à ma mère. Ma réaction a été féroce : « Touche pas à ma mère ! » Il m’a fallu neuf autres mois pour consentir à débrider la blessure de la mère. Car il y avait aussi blessure de la mère… Je disais à la psy : « On dirait que papa et maman m’ont amenée quelque part et m’ont oubliée là!…»

La mère. Comment a-t-elle pu fermer les yeux ? Comment expliquer sa passivité ? Comment a-t-elle pu s’en remettre à son mari ?. Au fil de sa thérapie, Marie-Hélène en viendra à penser que sa mère ne l’a pas désirée. En interrogeant ses aînés, elle a appris que sa naissance se présentait mal. Or sa mère n’a consenti à se rendre à l’hôpital qu’après de longues heures qui auraient pu lui être fatales. Elle l’a rarement prise dans ses bras pour lui donner le biberon. Elle lui a marqué bien peu de marques de tendresse.

En somme, Marie-Hélène a vécu la trahison du père et l’abandon de la mère : tout un déficit affectif ! Dans une ultime séance de thérapie, elle a été amenée à se vider le cœur devant son père et sa mère symboliquement représentés par un écriteau sur un fauteuil.

—Par la grâce de Dieu, raconte-t-elle, j’ai eu le courage de tout sortir ce qui m’empoisonnait, sans penser que je manquais de respect à mes parents. Tous deux étaient décédés : je n’avais donc pu les confronter à tout cela. Ce fut une rencontre très pénible, même épuisante, mais combien libératrice !… Depuis cette séance, je ressens une paix profonde. Je n’aurais jamais pensé qu’on pouvait vivre une telle liberté intérieure !.. Peu à peu, j’ai pu défaire les mécanismes qui me portaient à manger pour combler une béance affective. Seul le Seigneur peut me guérir ainsi en profondeur : à la racine du mal-être. Je reste vulnérable. Ce côté faible de ma personnalité m’oblige à me blottir contre Dieu. C’est mon chemin vers l’humilité… Plus que jamais, je sais que suis une enfant de Dieu : je n’étais que prêtée à mes parents. Je suis dans l’action de grâce : pour la maladie comme pour la guérison. Je n’ai plus aucune sorte de mépris ou de honte : je devais passer par là…

Il suffisait de faire la lumière pour trouver la zone de la vérité qui libère. Devant les méfaits causés par une dépendance malsaine, se pardonner : responsable, mais non coupable.!

 

Références :

(1) Les noms, les lieux et certaines circonstances de ce récit ont été modifiés par souci d’anonymat.

(2) Moralistes et directeurs spirituels ont longtemps proposé la sublimation comme panacée à toutes les pulsions inavouables. Ce n’était certes pas leur but, mais ils ont attisé ainsi bien des névroses. Le Lexis de Larousse définit ainsi le verbe sublimer : «Transposer (les pulsions) sur un plan supérieur de la réalisation de façon consciente ou non.»

Ce témoignage a été tiré de l’article: Mon âme a soif de la revue: Notre-Dame du Cap. Il a été écrit par M. Paul Longpré, journaliste et écrivain qui a eu la gentillesse et la générosité de me donner la permission de le mettre sur mon site. Sincères remerciements!

On peut entrer en dialogue avec l’auteur par courriel : plongpr@login.net

 

Ce témoignage a été tiré de l’article: Mon âme a soif de la revue: Notre-Dame du Cap. Il a été écrit par M. Paul Longpré, journaliste et écrivain qui a eu la gentillesse et la générosité de me donner la permission de le mettre sur mon site. Sincères remerciements!