Cécille Ringuete – Dénonciation de l’inceste fraternel – Jugement

Madame Cécile Ringuette âgée de 87 ans a poursuivi son frère en Cour Supérieure. Voici des

 

EXTRAITS DU JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

 

LE JUGEMENT

[1] La demanderesse réclame du défendeur une somme de 75 000 $ en réparation des dommages moraux qu’elle a subis comme suite à des agressions sexuelles de ce dernier, entre 1928 et 1935.

 

LES FAITS

[2] Les parties sont soeur et frère et membres d’une famille qui comptait sept enfants, quatre filles et trois garçons.

[3] Ils ont été élevés sur la ferme de leur père, dans la région de la Mauricie. Enfants, ils participaient déjà aux travaux de la ferme.

[4] Le défendeur, né en 1916, était le troisième des enfants et la demanderesse, née en 1921, en était la sixième. Environ cinq ans et demi les séparent en fait.

[5] La demanderesse s’est mariée en juin 1942 et a eu cinq enfants. Son époux est décédé en 1991.

[6] Le 9 octobre 1996, la demanderesse écrivait la lettre suivante au défendeur :

St-Boniface 9/10/96
Mr. Marcel Ringuette

Bonjour Marcel
Comment sa (sic) va. bien (sic) d’après ce que j’entend (sic) dire par ceux qui on (sic) de tes nouvelles.

Voici la raison de ma lettre. Tu vas rester bien surpris en recevant cela mais il falait (sic) que je le fasse, pour mon bien à moi.

J’ai vécu une vie brisée, par rapport à ce que j’ai gardé secret toute ma vie et ça il n’y aurait pas d’argent pour payer ça car sa (sic) ne s’évalue pas.

Aujourd’hui ma vie a changé, grâce à la rencontre d’un psychiatre, je me suis libéré (sic).
Alors maintenant il est juste que tu paie (sic) toi aussi et c’est le moyen qu’on a je te demande un (sic) indemnité de $20,000. J’aurais pu demander plus mais je veux pas être trop mechante (sic) non plus, tu as dix jours pour me donner ta reponse (sic) d’une façon ou d’une autre.

Et si c’est pas ce que je te demande, eh (sic) bien tu auras à payer d’une autre façon. À ce moment là ce sera toute ta famille qui sera au courant de ce que tu aimerais pas qui soit devoilé (sic).

Alors crois moi (sic) ça (sic) été dure (sic) de me rendre là, alors je ne déferai pas le chemin que j’ai de fait.

Sur ce je te laisse, et sois assuré que tu auras d’autre (sic) nouvelles et ce sera peut être (sic) pas seulement de moi cette fois.

Aurevoir (sic)

Cécile Ringuette

[7] Le 12 novembre suivant, le défendeur n’ayant pas donné suite à sa lettre ci-dessus, elle lui adressait la seconde lettre suivante :

12/11/96

Mr. Mde (sic) Marcel Ringuette

J’adresse ma lettre comme cela maintenant que je sais que Pauline est au courant.

Voici un mois de passé depuis que je t’ai fait parvenir ma première lettre. elle (sic) est resté (sic) sans réponse. Je te donne une autre chance. Je te conseil (sic) de bien réfléchir, je vois que toi sa (sic) te fait rien, mais pense aux autres c’est à dire (sic) tes enfants, et tes petits enfants pense qu’ils ne seront pas heureux d’apprendre que leur père un agresseur sexuelle (sic), pas un pogneur de fesse comme tu dis, mais tu sais, c’est quoi la vérité, moi j’ai pas peur d’affirmer ce que j’ai dis (sic) et ce que je redit (sic). et sois assuré que je vais aller aussi loing (sic) que tu vas le désirer.

J’ai trop souffert dans ma vie. pour laisser aller cela comme cela, c’est pas l’argent qui va guérir toutes les plaies, j’aimerais mieux pas avoir un sous (sic), mais que tu vive (sic) ce que j’ai vécu suite à cela, et crois mois (sic) c’est l’exacte verité (sic).

C’est vrai que ma libération arrive tard. J’aurai pas le temps d’en profiter longtemps.

Là je te donne 5 jours pour me faire parvenir le montant d’argent que je t’ai dis (sic) l’autre jour.

Là j’ai mis personne au courant mais je te jure que si tu ne réponds pas eh bien sa (sic) prendra pas un mois avant que je donne mes informations complète (sic). Je connais quelques enfants ils vont rester surpris de connaître leur père tel qu’il a été.

Mais il reste à toi de décider.

Quand on casse un vase, on doit le remplacer, toi tu as brisé ma vie tu dois au moins un dédommagement. $20,000 c’est très peu.
Sur ce je te quitte, et j’espère que tu ne laisseras pas aller ça plus loing (sic), car sa (sic) va te faire très mal

Bonsoir ta soeur

Cécile Ringuette Gélinas

[8] Le défendeur n’ayant pas, non plus, donné suite à cette lettre, la demanderesse a intenté la présente action contre lui. Elle lui a été signifiée le 30 décembre 1996.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[9] La demanderesse allègue, dans sa déclaration, qu’alors qu’elle était âgée de sept ans et le défendeur, de douze ans, ce dernier s’était livré sur elle à des agressions sexuelles de façon répétée jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de quatorze ans.

[10] Elle précise qu’en fait, au cours de cette période, qui va de 1928 à 1935, le défendeur l’a agressée au moins cinquante fois, à raison de sept à huit fois par année.

[11] Elle ajoute qu’en plus de l’agresser sexuellement, le défendeur la menaçait en lui disant que si elle révélait quoi que ce soit à ses parents ou à quiconque, il dirait que c’était elle qui lui avait demandé d’avoir des relations sexuelles avec lui.

[12] Elle plaide que ces agressions sexuelles et ces menaces lui ont causé un état de choc et un traumatisme psychologique important.

[13] Dans sa défense, le défendeur nie toutes ces allégations de la demanderesse et plaide qu’il n’a jamais agressé sexuellement la demanderesse, à quelque période de sa vie et qu’au surplus, son action est prescrite.

ANALYSE
1) Les agressions sexuelles

[15] La demanderesse déclare dans son témoignage qu’entre l’âge de sept ans et celui de quatorze ans, elle a subi régulièrement des agressions sexuelles de la part du défendeur.

[16] Celles-ci avaient lieu, le plus souvent, lorsque le défendeur et elle participaient seuls ensemble à des travaux sur la ferme.

[17] Selon elle, le défendeur ne manquait pas une occasion, et il l’agressait au moins cinq ou six fois par année. Le scénario, court, était à peu près toujours le même et se terminait invariablement par une relation sexuelle complète.

[18] Chaque fois, elle lui disait qu’elle ne voulait plus qu’il fasse ça, mais il ne tenait pas compte de ses prières.

[19] Sous la menace constante du défendeur que si elle en parlait, elle aurait affaire à lui et que, le cas échéant, il expliquerait que c’était elle qui désirait les relations sexuelles, elle ne mettait pas à exécution ses propres menaces de dénoncer le défendeur à leurs parents. Elle subissait les agressions et gardait le silence.

[20] Vivant dans la peur, elle évitait, dans la mesure du possible, de s’exposer aux agressions du défendeur. Pour ses déplacements qui pouvaient occasionner les agressions du défendeur, elle se faisait accompagner par une de ses soeurs. C’était le cas, notamment, lorsqu’elle allait, le soir, au cabanon où se trouvaient les toilettes, à l’arrière de la maison familiale.

[21] Le témoignage de la demanderesse, considéré isolément, est crédible, et les faits qu’elle relate offrent un degré de vraisemblance qui convainc d’emblée le tribunal.

[22] Cette conviction du tribunal que le défendeur a agressé sexuellement la demanderesse sur une base régulière au cours de ces sept années n’est certes pas affaiblie par le témoignage d’une soeur de la demanderesse qui est de deux ans son aînée. Celle-ci déclare avoir également subi régulièrement des tentatives d’agression du défendeur entre l’âge de neuf ou dix ans et celui de dix-sept ou dix-huit ans. Plus robuste, cependant, elle le repoussait, et il n’a jamais pu avoir de relations sexuelles avec elle. Le défendeur lui intimait, à elle aussi, l’ordre de ne parler à personne de ce qui s’était passé, sous des menaces semblables à celles relatées par la demanderesse.

[23] Pour se conforter davantage de sa conviction, le tribunal, compte tenu de la délicatesse de la situation, notamment au sein de la famille des parties, a jugé essentiel de nommer comme expert un psychologue, monsieur Hubert Van Gijseghem, Ph.D., pour recevoir son avis. Celui-ci, en plus de rencontrer la demanderesse et de procéder à un examen psychologique complet, a pris connaissance de toute la preuve.

[24] Le tribunal a posé à monsieur Van Gijseghem quatre questions liées plus spécifiquement aux conséquences psychologiques des événements ci-haut relatés sur la demanderesse. La première de ces questions était la suivante :

1) La demanderesse présente-t-elle les symptômes psychologiques d’une victime d’inceste?

[25] Dans son rapport, daté du 27 juillet 2001, Monsieur Van Gijseghem répond affirmativement à cette question, dans les termes suivants :

…une remarque préliminaire s’impose. Il n’y a pas à proprement parler des séquelles exclusives à l’inceste. Par contre, la recherche rétrospective faite sur des adultes ayant été victimes d’abus sexuel ou d’inceste a indiqué qu’une personne ayant été abusée est beaucoup plus à risque de développer des symptômes qu’une personne non abusée. En plus, certaines symptomatologies sont plus fréquemment observées chez des personnes abusées sexuellement que, par exemple, chez des personnes victimes d’autres expériences traumatiques.

Dans le cas de Madame (…), au moins deux symptomatologies sont présentes et qui sont fréquemment associées à l’abus sexuel ou à l’inceste. Sans être exclusives à ce genre de vécu, il s’agit des difficultés dans son vécu sexuel ultérieur, et il s’agit de sa perception de soi (estime de soi) fort amochée.

En plus, comme nous l’indiquions plus haut, il y a présence chez elle d’un état de Stress Post-Traumatique chronique.

(…)[1]

[26] Force est de constater, en rétrospective, que préalablement à sa réponse à cette question et aux autres posées par le tribunal, monsieur Van Gijseghem devait évaluer la véracité des déclarations de la demanderesse à l’égard des événements relatés. S’il ne les jugeait pas vraies, il ne pouvait émettre d’avis sur les conséquences psychologiques de ces événements sur la demanderesse. Il l’a donc fait, en appliquant quelques critères psychologiques et en mettant à profit son expérience clinique. Son témoignage sur son appréciation de la validité des allégations de la demanderesse mérite d’être relaté :

La question doit d’abord se poser : Est-ce que madame dit vrai? Sans vouloir usurper ici le rôle du juge, seul évaluateur de la crédibilité d’un témoin, nous pouvons néanmoins appliquer ici quelques critères psychologiques pour parler de la validité des allégations de madame (…).

Les récits (entrevues, témoignages, etc.) de madame concernant les présumés abus contiennent en effet un bon nombre d’indicateurs de validité, par exemple, des enchâssements spatio-temporels précis et spécifiques, des citations mot à mot de l’agresseur, des descriptions d’interaction très spécifique, des références à des complications, des détails périphériques, des références à des incidents extérieurs, des aveux de blanc de mémoire. Aussi, le tout paraît cohérent, le récit semble spontané, il y a des détails en grand nombre. Nous utilisons ici ces différents critères d’une façon tout à fait qualitative et non pas en tant que « grille systématique » . Sur un plan de l’exégèse du premier dévoilement (outre celui fait au mari), nous sommes également impressionné par la teneur des lettres écrites au présumé abuseur. Ces lettres n’étaient pas destinées à la distribution et pourtant ne donnent aucune description des faits reprochés. Leur auteur prend plutôt pour acquis que son frère sait pertinemment bien ce dont elle parle.[2]

[27] Cette appréciation de la validité des allégations et du témoignage de la demanderesse à l’aide de critères psychologiques, confirme celle du tribunal à la suite de l’enquête.

[44] Deux tests psychologiques objectifs ont notamment été administrés à la demanderesse par monsieur Van Gijseghem afin de déterminer la structure de sa personnalité et, s’il y a lieu, la présence de pathologie psychique.

[45] Le premier de ces tests, le Millon Clinical Multiaxal Inventory III, révèle ce qui suit :
Les échelles cliniques montrent une élévation significative indiquant une structure de personnalité très probablement dépressive. Une telle élévation est typique d’une personne qui connaît un sentiment de futilité qui l’empêche d’anticiper des situations agréables, donc de vivre les expériences positives de la vie. Elle préfère ne pas prendre la chance de s’exposer à de telles expériences de plaisir de peur d’être désappointée. Elle a un sentiment d’apathie, de découragement. Il y a à toutes fins pratiques absence d’estime de soi.

Une seconde élévation montre que le portrait est compliqué par des importants traits de défaitisme. Ce genre d’élévation, combinée à la précédente, est typique d’une personne défaitiste et « auto-sabotante » (self-defaiting). Une telle personne se met souvent dans des situations où on peut prendre avantage d’elle. Elle met de l’avant ses pires failles pour prouver qu’elle mérite d’être rejetée ou humiliée. Elle fait face à ses angoisses et inconforts en les comprenant à partir d’infortunes pensées et elle anticipe que même des bons événements se termineront mal. Elle peut inconsciemment exagérer ses défauts et se mettra ainsi activement dans une lumière qui la défavorise et la fait paraître inférieure.

D’autres élévations montrent que cette personne, sans doute à cause de tout ce qui précède, éviterait les gens et se réfugie dans un retrait social relativement important, d’autant plus qu’elle est aux prises avec une assez forte méfiance envers les autres.[9]

[46] Le second test objectif auquel la demanderesse a été soumise est le Minnesota Multiphasic Personality Inventory-II. Il révèle ce qui suit :

Les patrons symptomatiques montrent une personne dépressive qui se sent inadéquate et pessimiste. Son ressentiment peut partiellement être enraciné dans sa tendance à interpréter les motifs qu’ont les autres dans leur attitude envers elle. Elle a un très bon niveau d’énergie et elle est très préoccupée de ses problèmes.

Madame se sent en effet déprimée et rapporte des sentiments de dévalorisation et de culpabilité qui datent depuis très longtemps. Elle sent qu’elle mérite d’être punie et est pleine de remords. Elle se sent seule et remplie de peurs.

Sur le plan interpersonnel, elle est introvertie, distante et timide. Elle est remplie de ressentiment et elle a de la misère à exprimer celui-ci de façon adéquate. On peut parler d’un retrait social important.

Sur le plan diagnostique, ce test suggère la présence d’un trouble dépressif.[10]

[47] Ce témoignage de monsieur Van Gijseghem manifeste jusqu’à quel point l’inceste est mortifère. Il détruit l’humanité de l’enfant. L’enfant victime d’inceste continue à l’âge adulte ce processus de destruction en s’autodétruisant, tant qu’il ne prend pas conscience de ses effets sur lui et n’entreprend pas le processus de sa guérison.

[48] Les difficultés pathologiques de la demanderesse, en plus d’être réelles, ont duré l’essentiel de sa vie et subsistent encore aujourd’hui.

[49] Ces difficultés, à la lumière de la preuve, sont directement reliées aux agressions sexuelles du défendeur. Ce dernier doit donc, de principe, réparation à la demanderesse.

3) La prescription

[50] La demanderesse a introduit son recours le 30 décembre 1996, et les faits sur lesquels elle se fonde se sont déroulés entre 1928 et 1935. Ce délai pose le problème de la prescription, que le défendeur soulève.

[51] Suivant l’article 2261 du Code civil du Bas Canada, en vigueur à l’époque, l’action pour dommages résultant d’un délit se prescrivait par deux ans.

[52] La demanderesse soutient que l’état de choc et le traumatisme psychologique qui lui ont été causés par le défendeur l’ont empêchée d’exercer quelque recours contre ce dernier. Elle allègue n’avoir réalisé qu’il existait un lien entre les agressions sexuelles qu’elle a subies et son traumatisme psychologique que lorsqu’elle a vu à la télévision, à la fin de septembre 1996, un psychologue dont l’émission portait sur les victimes d’abus sexuel. C’est à ce moment, précise-t-elle, qu’elle a réalisé de quelle façon les actes d’agressions sexuelles et d’inceste du défendeur avaient brisé sa vie.

[53] En somme, elle soutient que le point de départ de la prescription de son recours n’est pas chacune des agressions sexuelles dont elle a été la victime, d’où son préjudice résulte, mais celui où elle a eu connaissance de ce préjudice et de son lien avec les agressions sexuelles et que, dans l’intervalle, elle était dans l’impossibilité d’agir.

[76] La demanderesse s’est ainsi enfermée dans un mutisme total qui a duré jusqu’en 1996, à une exception près : elle en a informé son époux, peu après le mariage, afin d’expliquer sa difficulté à avoir des relations sexuelles avec lui. Elle l’a toutefois imploré de garder le secret :

Q. Vous étiez pas capable d’avoir de bonnes relations?
R. Ben! c’est ça. Je pouvais pas… Parce que il y a de la différence avoir une relation avec plaisir pis… sans plaisir.

Q. OK.
R. C’est ça!

Q. Est-ce que votre mari s’est interrogé sur la raison…
R. Oui.

Q. … pour laquelle…
R. Oui. Ah! oui.

Q. Oui. Qu’est-ce que vous lui avez dit à ce moment-là?
R. Ben oui parce que il se demandait qu’est-ce qui se passait.

Q. Oui.
R. Fait que là ben… moi j’avais pensé d’y dire avant de me marier, mais comme on parlait pas de d’ça, ben j’en n’ai pas parlé. Mais je me promettais d’y dire après.

Q. Oui.
R Mais je savais pas que j’aurais des, des…, des…, des blocages comme ça là! Fait que là après ben j’y ai dit. J’y ai expliqué que c’était parce que j’avais eu des relations avec mon frère et pis comme ça se parlait pas dans ce temps-là mais j’y ai demandé de garder le secret, de pas n’en parler, parce que je pense ben que… y n’auraient peut-être entendu parler.

Q. OK. Alors, vous lui aviez fait promettre de ne pas en parler.
R. Mais là j’y ai demandé de garder le secret pis de faire ça pour moé pis pour mes parents parce que je savais ben que ce serait le déshonneur là! Pis… je voulais pas. Dans ce temps-là c’était pas comme aujourd’hui! Aujourd’hui ça se parle, mais dans ce temps-là ça se parlait pas. Fait que ça a été ça! Pis j’ai…, j’ai…, j’ai…, ça s’est continué, j’ai jamais été capable d’avoir de bonnes relations, toujours de la misère avec ça.[22]

[77] Quelques années après son mariage, quand le docteur Fugère, qu’elle a consulté pour une tumeur à la tête, lui a demandé si elle avait eu un choc dans sa vie, elle a maintenu ce mutisme, sans égard à l’importance que cette information pouvait avoir pour son traitement et, plus généralement, pour sa santé.

[78] En une autre occasion, quand le docteur Janelle qui, en plus de la suivre, était un ami du couple, s’est enquis auprès d’elle de ce qui se passait dans sa vie, soupçonnant quelque chose d’anormal, elle a, encore une fois, maintenu son mutisme.

[79] Il est, enfin, très significatif que la demanderesse, dans la lettre qu’elle a adressée au défendeur le 9 octobre 1996, n’ait fait nulle part mention des agressions sexuelles dont il était l’auteur. Elle s’adressait d’ailleurs à lui dans le plus grand secret et, tel qu’il appert des termes de sa lettre, à l’évidence, elle souhaitait que sa démarche demeure strictement confidentielle.

[80] C’est le défendeur qui a brisé la glace, après la réception de cette lettre, en informant des membres de la famille, notamment son épouse, de la démarche de la demanderesse.

[81] Ces faits ont amené le tribunal à se demander si, pendant toutes ces années, la demanderesse n’avait pas, en définitive, aussi subi une violence beaucoup plus insidieuse et sournoise qu’une violence physique ou des menaces, celle résultant de l’interdit social dont l’inceste était frappé, dont le défendeur tirait subtilement avantage. Dans le contexte propre à la génération de la demanderesse, s’il était su qu’elle avait eu des relations sexuelles incestueuses avec son frère, ce serait le complet déshonneur pour elle, et son déshonneur rejaillirait sur l’ensemble de sa famille.

d’un état de stress post-traumatique chronique (ESPT), associé à l’abus sexuel ou à l’inceste :

Prenant pour acquis qu’il y a effectivement eu inceste (cf infra), les critères pour parler d’une ESPT sont présents, à savoir :

- L’événement traumatique est revécu sous forme de :
- souvenirs répétitifs
- rêves répétitifs
- impression ou agissements comme si l’événement allait se reproduire
- Évitement des stimuli associés au traumatisme
- efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme
- efforts pour éviter les activités ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme
- réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités
- sentiment d’avenir « bouché »
- Présence de symptômes persistants
- difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu
- difficultés de concentration
- hyper-vigilance
- réaction de sursaut exagéré

Aussi, les symptômes ont duré plus d’un mois et ont entraîné une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

(Le libellé de ces critères est emprunté directement de l’outil DSM IV).

Source: Institut canadien d’information juridique

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